80% de handicap ? C’est dommage, 10% de plus et vous n’aviez pas la redevance télé !
Nous sommes en 1995, 1996 … Je suis à la Préfecture.
Je viens chercher ma vignette automobile, pour moi gratuite, « cadeau » de l’état pour me dédommager du handicap de ma fille. Je n’ai pas de grosse voiture américaine, mais cela me rend bien service ! je n’ai pas perdu sur tous les plans …
Mais voilà, à l’époque, je suis une petite nouvelle dans le « club des parents d’enfants handicapés », et la pilule est assez amère, pour ne rien cacher.
Tout m’agresse ! La file d’attente, le regard des autres (« quoi sa gueule, qu’est-ce qu’elle a sa gueule » …) et cette carte orange, que je dois sortir.
« Station debout pénible » ; en même temps, ma fille a un an. De grands yeux bleus, et une moustache verte, cette sonde gastrique que je dois lui poser deux fois par jour. Sa tête est un peu aplatie, parce-qu’elle ne peut pas s’asseoir, et encore moins tenir debout !
Je tends donc ma carte. Monsieur Machin la saisit, la regarde, mais ne me regarde pas.
- C’est dommage … 10% de plus et vous n’aviez pas la redevance TV …
Un instant, je me dis qu’il fait de l’humour. Cela pourrait être drôle, dans un certain contexte. Avec des potes, des « qui ont le droit ».
Si en plus, l’administration se met à faire de l’humour noir, où va-t-on ? Et puis, ai-je envie de blaguer avec un mec de la Préfecture, pressée par une file d’attente qui m’oppresse ? Pas sûr !
Mais, je suis vite rassurée ! Ce n’est pas de l’humour !
Je décide de relever la tête :
« – Zut alors (ai-je dit zut ?) ! Quel manque de savoir faire ! Pas de bol ! »
Et voilà … bienvenue dans le monde extra-ordinaire, le monde parallèle que je côtoie, que nous côtoyons tous les jours …
D’autres que moi l’ont dit. Bien évidemment, comment ne pas mentionner le très beau texte épistolaire « Où on va Papa? » dans lequel Jean Louis Fournier s’adresse à ses deux fils.
Dans ce recueil, l’auteur rit, pleure, se débat, se révolte, fustige … Il n’y a pas un sentiment, une sensation, par lui décrit, que je n’ai éprouvé.
Et une vérité : nous avons du mal avec le handicap quand il est mental.
De plus en plus la société intègre (et c’est heureux) le handicap physique. Nous avons aménagé nos écoles (ou en tout cas, nous sommes censés le faire), nos entreprises doivent intégrer des personnes en situation de handicap (ou sont censées le faire) … Bref, on va vers le mieux …
Et pourtant …
Les préjugés restent tenaces quand il s’agit du handicap mental.
Malgré la bonne volonté.
Parce-que cela nous met mal à l’aise. Que dire, que faire, quand quelqu’un vient vers nous, avec un grand sourire, pour nous accrocher, nous saluer, nous serrer quelques fois …
Nous sommes gênés, mal à l’aise. Logique, la société nous apprend l’inhibition.
« Non, ça, ça ne se fait pas …! »
Notre société a du mal avec le handicap … Dans certaines sociétés africaines par exemple, celui que l’on appelle « le fou », un peu « illuminé » peut être considéré comme un sage …
Nous on planque nos fous, nos handicapés … un peu comme on abandonne nos vieux. Parce-que ce qu’il faut, avant tout, c’est être « rentable », « productif » et si possible, mignon, jolie …
Quelle attitude avoir face à cette jeune fille qui tourne sur elle-même en riant à gorge déployée ?
Et cet autre qui salive un peu trop ?
Alors que faire …
Ce qu’il faudrait, à mon humble avis, c’est « positiver » notre curiosité … qu’elle ne soit plus du voyeurisme.
Arrêter surtout la condescendance, la pitié … la mauvaise foi .
Apprendre, dès l’école, à accepter l’autre, même quand l’autre, a priori, nous semble un peu « bizarre ».
J’ai connu les parents qui protestent parce-que ma fille était dans la classe de leur gamin, les sorties scolaires qui lui étaient impossibles.
« – Nous n’avons pas d’AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) pour l’accompagnement … »
Mais madame, ma fille marche, et autonome, mange toute seule …
« -Oui mais elle handicapée … demandez au rectorat ! »
A u rectorat :
« – mais madame, votre fille n’est pas assez handicapée » …
PAS ASSEZ HANDICAPEE …
Il y a des gens qui osent dire des choses pareilles à des parents !
PAS ASSEZ HANDICAPEE …
Ben m… alors …
Je rate une redevance TV gratos et un AVS …
Cette phrase résonnera longtemps. Elle est d’autant plus douloureuse que je suis enseignante et qu’il s’agit de MON administration.
Aujourd’hui le collège où je travaille a intégré l’ouverture vers le « monde » du handicap au projet d’établissement , et je suis très fière de cela ; l’objectif final étant bien évidemment la prise de conscience que ce n’est pas un monde à part, ni un un monde parallèle !
Nos élèves vont petit à petit apprendre à rencontrer des jeunes et des moins jeunes handicapés. Savoir ce qu’est un IME (Institut Médico Educatif), un IMPRO (Institut Médico Professionnel ), découvrir les ESAT (Etablissement et Service d’Aide par le Travail), les … découvrir les professionnels qui consacrent leur temps à nos jeunes , éducateurs spécialisés, orthophonistes, instituteurs spécialisés, psychologues, kinés … La liste est longue.
Oser rire avec les gens sans rire d’eux ; oser les regarder aussi.
Oser parler de leurs proches parfois, handicapés eux aussi.
Réussir à être au camping et ne pas être mal à l’aise parce-que le gamin d’à côté est bizarre.
Nous autres, les gens « normaux » arrivons même à nous sentir agressés par un sourire … c’est un comble !
Savoir aussi que ces rencontres sont enrichissantes pour tous.
Apprendre à vivre ensemble …
N’est-ce pas ce que l’on appelle l’Education à la Citoyenneté ?
Et puis, ne jamais oublier que « les gens fêlés laissent passer la lumière » !
Association Perce Neige :
www.perce-neige.org
www.apaei.org